You know I'm no good. | Elea

Il a le cœur aussi solide que le poing lorsqu'il descend de sa bécane alors que la pluie s'échoue sur ses vêtements.
Reed n'a pas l'ombre d'un envie de rentrer chez lui. Il sait que l'attend de l'autre côté de la porte une nana qui n'arrangera rien à sa bonne humeur. Il se demande souvent comme il a pu se dire que c'était une bonne idée.
Quand il la regarde droit dans les yeux, pour le peu qu'il ose le faire, il sent qu'elle a juste envie de se tailler, qu'elle est enfermée derrière des couches et des couches de protection pour pas que l'ogre l'atteigne.
On devrait infliger à ça personne, pas même à un clébard.

Ses godasses pleine de boue, il tape un peu dans l'entrée pour enlever le maximum et les laisser finalement devant la porte. Casque à la main, ses phalanges le font souffrir après une énième confrontation. Il n'y a que dans la violence que Reed parvient à exorciser ce qui le bouffe. Même lui ne saurait pas le nommer, c'est juste une force. Ou alors une vague. Un truc bizarre, poisseux, presque démoniaque. Que tu sens en toi et que t'as beau arracher, tu sais qu'en bout de course il reviendra toujours. Mauvaises herbes de l'âme.

En ouvrant la porte, sa large silhouette s'avance à travers les pièces. Il dépose à sa place son casque, enlève sa veste et fixe Elea dans le salon. Il se remémore lorsqu'elle était gamine et pleine de vie. Reed lui a enlevé ça, égoïste, trop plein de rancœurs pour voir les vies qu'il était sur le point de détruire autour de lui. Ça ne lui a rien fait de la voir s'effondrer après le mariage. Il n'a pas senti l'ombre d'un doute ou d'un frémissement.
C'était juste normal.
Normal de se venger et de ne rien ressentir.

Ils sont pas ce genre de couple à se demander comment s'est passée leur journée. Ils sont même pas un couple en réalité, encore moins des mariés. Juste des inconnus qui purgent leur peine ensemble. Alors il dit. T'as fait à manger ? Il a faim, c'est une certitude. Reed n'accorde aucune importance au reste.
Il la dévisage.
On pourrait croire que c'est elle qu'il  va bouffer.

« Je vous revois demain, Darren. Passez une bonne nuit. » Elea lui offre un sourire et ses doigts resserrent doucement l'épaule frêle de l’octogénaire. Souvent seul, le vieil homme s'ennuie beaucoup et si Elea est demeurée parfois à ses côtés pendant des soirées entières à jouer aux cartes avec lui en le laissant gagner, elle sait qu'elle ne peut pas s'impliquer autant auprès des pensionnaires. Alors, lentement, elle quitte la chambre et referme la porte derrière elle, grimace un peu à l'idée de le laisser seul alors qu'il ne semble pas aller très bien, depuis quelques jours. L'équipe suivante lui promet d'aller le voir régulièrement et de l'appeler si sa condition se dégrade davantage.

C'est donc plus ou moins rassurée que la jeune femme quitte l'établissement pour rentrer chez elle, en traînant les pieds. Chez elle ou plutôt, chez Reed. Voilà quelques semaines maintenant qu'elle a emménagé avec lui, mais elle n'a pas encore l'impression d'y être à sa place. Avec un soupir, Eleanor déverrouille la porte et la referme derrière elle avant de déposer son sac dans l'entrée et de rejoindre la cuisine pour satisfaire son estomac. Elle fait cuire des pâtes, prépare une sauce en sachet étrangement bonne et mange devant la télévision avant de mettre ce qui reste au réfrigérateur et son assiette dans le lave-vaisselle. Elle aurait pu l'attende, bien sûr qu'elle aurait pu l'attendre et pourtant, la jeune femme a cette excuse facile qui lui pique la gorge. Elle ne sait pas quand il va rentrer.

Lorsqu'elle revient au salon, c'est pour s'installer devant la télévision, sans vraiment la voir. La journée a été rude, ce jour-là, et elle aurait aimé pouvoir lui en parler. Elle aurait aimé pouvoir se blottir dans ses bras et y rester jusqu'à ce que les tracas s'envolent. Entre eux, ce n'est pas comme ça. Entre eux, c'est compliqué, c'est féroce.

Elle entend la porte derrière elle, mais elle ne fait rien pour lui signaler sa présence, attend que sa silhouette apparaisse dans son champ de vision pour relever les yeux vers lui. Ses cheveux bruns sont encore un peu humides de la pluie, s'échouent en vagues délicates sur ses épaules. « Y'a des pâtes dans le frigo. » répond-t-elle, comme une automate, à sa question. Ses sourcils se froncent un peu lorsque ses iris se posent sur les phalanges éclatées et un soupir quitte finalement ses lèvres alors qu'elle se relève pour rejoindre la salle de bain et récupérer un peu d'alcool, des compresses et un bandage. Ce n'est pas la première fois qu'il arrive blessé après une longue journée et Elea s'est donc empressée d'acheter de quoi nettoyer les plaies quelques jours plus tard afin de ne plus jamais devoir improviser.

Elle revient au salon, pose le matériel sur la table avant de s'adresser à nouveau à lui.

« Je vois que t'es toujours incapable de garder tes poings pour toi. » reproche-t-elle avec un soupir avant de poursuivre. « Mange, on s'occupera de ça après. » 

Elea le déteste et il ne peut rien contre ça. Finalement, il trouve presque rassurant de la voir se comporter avec une telle froideur à son égard. Il aurait pris pour tarée une nana qui aurait cédé trop vite à ses avances. Maso sur les bords sans se l'avouer, Reed redresse un sourcil. Encore des pâtes ? Elle ne lui fait pas à manger, elle n'est pas ce  genre, petite soumise l'attendant à la maison. Il aurait voulu pourtant, macho insupportable peu respectueux du sexe féminin. Il avait oublié ses phalanges ensanglantées jusqu'à ce qu'elle revienne vers lui avec de quoi le soigner.

Il lâche un soupir et se dirige vers la cuisine. Toi t'es toujours incapable de garder tes réflexions pour toi, hm. Qu'il lui balance, d'un ton sec et désinvolte. Reed n'est pas difficile et s'approche du frigo pour prendre de quoi se remplir l'estomac. Quand il était môme, il lui arrivait parfois de sauter des repas par économie. Si aujourd'hui il peut se permettre de vider le frigo, l'homme ne s'en prive pas. Son regard noir se pose sur les pâtes qui tournent à présent dans le micro onde avant de s'installer seul à table. Rares sont les fois où ils mangent ensemble.
De toute façon, aucun des deux n'a rien à dire à l'autre.

L'animal dévore son plat en quelques minutes et laisse ses couverts dans l'évier. Il les lavera que si Elea les laisse moisir plusieurs jours mais il tente toujours, dans le doute. Là où Reed pourrait lui proposer de se soigner seul, son imposante stature s'approche de la salle manger pour prendre place sur une chaise. Il sait qu'elle n'aime pas lorsqu'il vient salir le canapé de ses conneries et respecte au moins cela.

C'est superficiel, ça va. Qu'il commente en remuant doucement cette main qui pour le moment ne lui fait pas trop mal mais dont la douleur s'accentuera avec les jours. S'il connaît comment réagit son corps, cela ne l'empêche pas de jouer au dur même lorsqu'il est en tord. Pire qu'un adolescent trop fier, son regard se redresse vers Elea.

Pas la peine de faire la gueule, c'est la seule chose que je te demande. La seule, l'unique. Même ses slips, il se les lave. Même le lit, il accepte parfois de le déserter lorsqu'elle ne veut pas supporter sa tête. On lui donnerait des claques, d'être si macho.

« La prochaine fois que je me ferai à manger, j'en ferai seulement pour moi et tu mangeras des carottes. » siffle-t-elle, visiblement énervée, alors qu'elle ramène au salon de quoi le soigner. Reed disparaît dans la cuisine et sa réflexion lui fait lever les yeux au ciel alors qu'elle ne prend pourtant pas la peine de répondre. Elle parle quand elle a envie de parler, ce n'est certainement pas lui qui lui dira quand elle doit se la fermer et quand elle peut laisser échapper son point de vue parce qu'il le veut bien. Installée devant la télévision, Eleanor lui jette parfois un coup d'oeil alors qu'il évolue dans la cuisine et qu'il s'installe à la table pour dévorer les pâtes. Un soupir quitte ses lèvres et elle ferme un peu les yeux pour se détendre et essayer de le comprendre. Un peu bourru, il n'a toutefois jamais essayé de la forcer et même si la jeune femme n'apprécie pas du tout ce machisme désagréable qu'il lui adresse, elle doit admettre qu'elle lui est reconnaissante, malgré tout, de ne pas chercher à la soumettre davantage. 

Lorsqu'il s'installe sur une chaise, Elea se relève et récupère l'attirail nécessaire pour le soigner. Elle dépose avec légèreté ce qu'elle a apporté sur la table, avance la main pour attraper délicatement le poignet de Reed. « Laisse-moi voir, veux-tu ? » Ses prunelles se plantent dans les siennes pendant une fraction de seconde et, rapidement, la brune ramène une autre chaise devant lui afin de s'installer un peu plus confortablement. La réplique de Reed lui fait relever la tête vers lui alors que sa bouche s'ouvre légèrement pour protester, mais qu'elle la referme rapidement pour se concentrer sur les blessures arborées par les phalanges masculines.

Elle vide un peu d'alcool sur un tampon et attrape à nouveau sa main.

« Ça va piquer un peu. »

Elle ne le regarde même pas et puisque ce n'est pas la première fois que le colosse se doit de rester tranquille pendant qu'elle désinfecte ses plaies, la jeune femme considère qu'il sait déjà que ses mots ne sont en réalité qu'un euphémisme. Verser de l'alcool aussi fort sur une plaie ouverte et ensanglantée, ça ne peut pas juste piquer un peu, mais puisqu'il sait déjà à quoi s'attendre, tourner autour du pot n'est probablement pas une bonne idée. Elle demeure entièrement de marbre lorsqu'elle désinfecte la peau blessée et ce, malgré le tressaillement presque imperceptible et instinctif de Reed.

Efficace malgré sa douceur, Elea refuse de faire durer la torture et applique finalement une petite crème apaisante et antibiotique sur les phalanges abîmées. « Évite peut-être de prendre une douche tout de suite. Tu ... » Elle ne le regarde pas, s'occupe les mains en rangeant ce qu'elle a utilisé. « Tu veux regarder un film ? »