Chim, chimney. Chim, chimney. Chim, chim, cher-ee !

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

Je détestais cette situation. L’idée était venue du Times qui en avait parlé à l’un de mes conseillers. Sans m’en parler avant, il avait confirmé ma présence à leur petite expérience. Un sondage avait relevé que j’étais une personnalité politique peu populaire auprès de la classe ouvrière. L’idée était donc de m’immerger dans le milieu ouvrier afin de vérifier si l’opinion des ouvriers et ouvrières changerait après ça. Je n’étais pas dérangée à l’idée de passer une semaine à ramoner des cheminées devant quelques journalistes. Un sondage Ce que je détestais c’était que le contrôle de mes actions m’ait échappé. Je n’avais pas eu mon mot à dire. J’avais l’impression d’être à nouveau cette petite marquise à qui les hommes mentaient pour arriver à leurs fins ! 

Mais j’allais participer à cette immersion. Non pas pour faire plaisir au Times où à mes conseillés politiques. Mais pour prouver à tout le monde qu’une marquise n’était seulement faite pour porter de belles robes et dilapider son argent partout où elle se rend. Qu’imaginaient-ils ? Que j’allais ressembler à l’une de ces candidates de télé-réalité idiotes incapable de faire la moindre activité physique sans se plaindre ? 

Dès mon plus jeune âge, même avant la mort de mes parents, j’avais appris à découvrir les différents corps de métiers de notre entreprise familiale. la traite de nos brebis, la confection de fromages, la tonte de notre troupeau, tout ce que nous pouvions faire avec leur laine. Certes, j’étais bien plus douée pour la politique et la présidence d’une entreprise. Mais je savais que j’allais m’en sortir au milieu de ces cheminées. 

Nous avions rendez-vous au siège de l’entreprise de ramonage qui participait au reportage. Située à Camden Town au bord du Regent’s Canal dans un bâtiment ayant jadis servit de boulangerie y accéder était compliqué. Néanmoins, mon chauffeur nous déposa Bob et moi au pied de l’entrée principale. Dans le hall, je retrouvais le directeur de l’entreprise, ses employés, ainsi qu’une jeune femme étant probablement la journaliste du Times qui allait me suivre. Arborant mon sourire le plus charmant, je saluais tout le monde un par un.  Derrière moi, mon garde du corps surveillait chaque personnes dans la pièce d’un regard sévère. 

« Mary Fraser, Députée de Glasgow South West, terminais-je en saluant la journaliste. »

Ma matinée allait débuter par un entretien privé avec la jeune femme afin que l’on vérifie ensemble la forme qu’allait prendre son article. 

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

Cette journée s’annonçait palpitante. Poppy était quelque peu lassée par les idées saugrenues de ses supérieurs au Times. Elle était consciente que la rubrique politique était délaissée par une grande majorité des lecteurs. Beaucoup étaient désabusés et déçus, voire même tout simplement inintéressés. La brune comprenait également, qu’en tant que journaliste, donner envie au public de lire ses articles faisait partie intégrante de ses fonctions. Toutefois, le Times allait trop loin. Mary Fraser était la prochaine personnalité que la britannique devait interviewer dans le cadre de sa série de portraits de figures politiques féminines. Pourtant, on lui avait demandé de ne pas effectuer un entretien simple et classique comme elle l’avait fait avec la maire de Londres. À la place, une véritable mise en scène avait été décidée avec l’un des conseillers de la candidate au poste de Premier Ministre. Mary Fraser passerait sa journée parmi des ramoneurs et la liverpuldienne couvrirait l’évènement. Cette dernière n’était pas vraiment en faveur de cette démarche. Pour elle, cela frisait la manipulation médiatique. Le cabinet de conseillers de la marquise tentait d’utiliser ce portrait pour faire gagner des points de popularité à leur candidate. Il n’y avait rien d’impartial ou d’objectif dans cette démarche. C’est donc avec un grand a priori que la femme était arrivée dans les locaux de l’entreprise de ramonage ce matin-là.

Quelques minutes plus tard, alors que la brune venait de vérifier le contenu de son sac et de remercier le personnel de l’entreprise de participer à cette expérience, Mary Fraser fit son entrée dans le bâtiment. Suivie de près par un garde du corps visiblement peu avenant, elle salua tous les participants, finissant par Poppy. La trentenaire répondit poliment à la figure politique, adoptant un ton neutre. Elle ne voulait pas paraître désagréable, mais elle ne souhaitait pas non plus afficher un enthousiasme hypocrite. « Poppy Ward, pour le Times. » La journaliste inspira lentement, laissant à la marquise la liberté de lui indiquer la suite des évènements. Elle savait pertinemment que les deux femmes étaient supposées avoir une conversation plus privée afin d’échanger à propos du format du portrait. Toutefois, la britannique avait appris à ses dépens que la classe politique n’aimait pas vraiment être menée par les autres. Elle les laissait donc souvent prendre la main. Le seul moment où la liverpuldienne était en contrôle était durant ses interviews. Là c’était elle qui décidait et qui posait les règles. La femme attendit donc patiemment des instructions de Mary Fraser.

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

Après avoir demandé au directeur de l’entreprise de ramonage de m’indiquer la direction d’une salle privée disponible, j’invitais d’un signe de tête la dénommée Poppy Ward à m’y suivre. La pièce que l’on m’avait désignée était petite, humide, sombre, et sale. A en juger l’accumulation de dossiers empilés sur les étagères, elle ne devait pas être rangée bien souvent. En passant ma paume sur la table ronde qui occupait à elle seule la moitié de l’espace celle-ci se retrouva couverte de poussière. D’un air las je secouais ma main pour m’en débarrasser. Puis, je pris place sur la chaise à l’assise rembourrée d’osier qui se trouvait la plus proche.

« Asseyez-vous ordonnais-je à la journaliste en lui montrant une chaise. »

Me redressant davantage, je jetais un coup d’œil rapide en direction de Bob qui bloquait l’unique porte de la pièce de son imposante carrure. Sur la papier, ni cette Poppy ou un quelconque employé de l’entreprise ne représentait un véritable danger pour ma propre sécurité. Mais l’Histoire nous avait appris que l’on n’était jamais trop prudent. Qui aurait par exemple cru que mes parents se feraient tuer ce jour-là ? Ils avaient confiance dans les habitants de Glasgow.

« Bien, commençais-je. J’ai accepté de bonne grâce de participer à votre petit reportage. Mais cela ne se fera que si vous acceptez en retour mes propres exigences.»

Me baissant, j’attrapais dans mon attaché caisse une feuille sur laquelle j’avais noté à la main chacune de mes exigences. Je ne voulais faire des concessions sur aucune d’entre elles.

« Pour commencer, aucun de vos articles ou photos ne pourront être publiés sans mon accord préalable. Cette censure est nécessaire pour que je vérifie que vous ne propagiez pas de calomnies à mon égard. Après tout, cette opération est faite pour que je remonte dans les sondages. Par pour que je redescende. Ensuite, il va de soit que je sous aucune raison je ne pourrais quitter mes obligations de député. Vous comprenez, cela reste ma priorité absolue. Ainsi, peu importe l’activité de l’entreprise, je me rendrais chaque jours au parlement pour représenter ma circonscription. »

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

La marquise lui intima de la suivre d’un signe de tête et la liverpuldienne retint un froncement de nez mécontent. Les membres de la noblesse n’étaient-ils pas supposés connaître les bonnes manières ? Les parents de Poppy étaient tout sauf titrés et riches, et pourtant ils lui avaient appris que ce n’était pas ainsi que l’on traitait un être humain. L’attitude de Mary Fraser ne lui inspirait ni respect ni politesse. La femme ravala tout de même ses complaintes et suivit la politicienne  dans un petit local, visiblement abandonné par l’entreprise. Elle ne parvint pas à retenir un claquement de langue énervé lorsque la brune lui ordonna de s’asseoir. Ses mots et son ton n’auraient certainement pas été différents si elle s’était adressée à un chien. Le regard de la britannique glissa vers l’armoire à glace qui bloquait la porte. L’idée de tout laisser tomber et de sortir du bâtiment en furie traversa son esprit. Néanmoins, la trentenaire se contenta d’un soupir avant de s’installer dans une chaise qui menaçait visiblement de s’écrouler. Elle atteindrait cette arrogante candidate au poste de Premier Ministre d’une autre manière. Comme elle le faisait toujours, elle userait de son arme principale : ses mots élégamment couchés sur le papier.

Ses mains soigneusement entrelacées sur ses genoux, la demoiselle écouta les propos de la femme politique. Elle haussa un sourcil à la fin du monologue de celle-ci, indiquant silencieusement que c’était à son tour de s’exprimer. Poppy prit ensuite la parole, un léger sourire aux lèvres. Toujours avec le sourire. C’était la règle numéro un quand on travaillait dans un milieu comme le journalisme. « En ce qui concerne vos obligations de député, naturellement elles sont prioritaires par rapport à l’écriture de ce sujet. En revanche, je crains qu’il soit plus difficile d’accéder à votre première demande. Naturellement, étant le sujet de l’article et ayant donné de votre temps pour son écriture, vous aurez un droit de regard et serez informée de son contenu. Mais vous ne pourrez pas censurer mes mots, à moins de prouver qu’ils sont diffamatoires. C’est une question de liberté de la presse. Le Times ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, s’il n’avait publié que ce que les politiques voulaient bien autoriser. » La brune termina ses explications, son sourire n’ayant toujours pas disparu. Elle prenait un risque en étant aussi honnête envers la député, mais c’était la simple vérité. La journaliste n’avait pas l’habitude de se laisser censurer et elle ne comptait pas commencer pour cette marquise.

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

J’en étais à présent persuadée, Poppy Ward ne m’appréciait guère. Ce n’était certainement pas son petit sourire hypocrite qui allait me faire changer d’avis. Très jeune, j’avais appris à reconnaitre les personnes qui me souriaient et me parlaient avec sincérité et ceux qui ne faisait cela que dans le but de pouvoir ensuite me tirer une balle dans le pied. Non. Poppy ne m’aimait pas et je savais que si les choses ne changeaient pas, les propos qu’elle tiendrait à mon encontre dans son journal pourraient m’être fatals auprès d’une partie de mon électorat. Il était donc pour le moment impensable que je la laisse écrire sans contrôler ce qu’elle avait à dire. Peu m’importait la liberté de la Presse comme elle disait. La liberté au droit d’intimité existait également.

« Vous autres les journalistes, vous pensez que vous ne faites que votre travail, remarquais-je. Qu’il est de votre devoir de partager avec le reste de la population ce que vous avez vu ou entendu. Pourtant, certaines vérité peuvent avoir des conséquences dramatiques. Elles peuvent tuer. Tandis que des mensonges peuvent aussi sauver des vies. »

Tout en parlant, je pensais à la mère de mes cousins. Du fait de sa popularité, les journalistes n’avaient jamais cessé de la suivre afin de remplir leurs unes avec un nouveau scoop la concernant. Et c’était très certainement cela qui l’avait tuée. Certes, le times n’était pas l’un de ces journaux people. Certes, je n’étais pas la princesse Diana. Mais cela revenait au même.

« Sachez que je n’ai rien à cacher, soupirais-je finalement. Je souhaite simplement m’assurer que vous n’interprétez pas mal certains de mes propos. »

Des journalistes pouvaient détruire des carrières politiques. Mais je savais aussi que j’avais en mon pouvoir la possibilité de détruire la carrière de cette femme. Au sein de toutes ses sphères, la vie n’était pas aussi rose et innocente que certains pouvaient le croire.

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

La jeune femme ne retint même pas la grimace qui lui vint lorsque la marquise commença son propos par une superbe généralité agressive, à grands coups de « Vous autres les journalistes ». Et dire que certains croyaient que les politiques étaient des maîtres de l’élocution et du discours. Quand ils n’avaient pas leurs petites mains pour choisir leurs mots à leur place, beaucoup devenaient d’une maladresse extrême. L’électorat qu’ils étaient capables de séduire par eux-mêmes était souvent bien plus restreint. Poppy écouta avec attention chaque mot prononcé par son interlocutrice, sa grimace s’accentuant un peu plus à chaque fois. Mary Fraser semblait la prendre pour une journaliste de pacotille voire même une paparazzi. Une morte de faim en quête de scoop qui serait prête à écrire sur n’importe quoi. Pourtant, ce n’était pas son cas. La trentenaire luttait constamment avec le Times pour qu’ils ne s’abaissent pas à ce niveau. Pour qu’ils publient des sujets de fond, réellement intéressants et importants pour la communauté. Alors que la femme politique soit prête à croire qu’elle était d'accord pour écrire sur tout et n’importe quoi, rendait la britannique très amère. Elle avait toujours soigné son image, en tant que journaliste, mais à chaque nouvelle rencontre tout était à refaire. La liverpuldienne avait l’impression d’éternellement devoir refaire ses preuves face à des arrogants qui n’avaient fait qu’un minimum d’efforts pour arriver là où ils en étaient.

La journaliste ouvrit donc la bouche à son tour, alignant ses arguments. « Je ne suis pas une journaliste people, Mme la député. Tout ce qui m’intéresse ce sont vos opinions et vos propositions politiques, rien de plus. Autant d’informations que vous rendez vous-même publiques pour le bien-être de votre carrière. Mon travail n’est pas d’interpréter vos propos, il s’agit simplement de les retranscrire. Je ne suis pas là pour dire aux lecteurs quoi penser, je leur donne simplement des éléments et des faits sur lesquels baser leurs raisonnements. J’ai confiance en leur jugement. » La femme se tut, une lueur de fierté dans le regard. Elle savait défendre ses positions et si cette marquise croyait pouvoir la faire flancher comme une débutante, elle se trompait lourdement. Poppy travaillait dans ce domaine depuis trop longtemps et elle avait trop donné de sa personne pour se faire refuser un article de la sorte.

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

Depuis le début de ma carrière politique, et peut être même avant, j’avais toujours eu l’envie de tout contrôler. Parce que je savais que si une situation m’échappait, je ne pourrais peut-être pas la rattraper. C’étaient mes conseillers qui avaient arrangé la programmation de ce reportage mais c’était à moi de faire mon possible pour que leur idée ne tourne pas au carnage. Je perçu la critique dans le regard de la journaliste, mais je la laissais argumenter. J’étais bien placée pour savoir qu’en tant que femme elle avait probablement dû se battre pour devenir journaliste au sein d’un quotidien aussi réputé que le Times.

« J’ai souvent vu des journalistes politiques déformer des propos pour orienter leurs lecteurs vers l’opinion générale du journal, remarquais-je. » »

Je disais vrai. Voilà quelques mois, un député conservateur qu’il m’était arrivé de croiser au parlement avait eu la mauvaise idée d’accepter une interview de la part d’un journaliste du Daily Mirror. Ce dernier avait alors tout fait pour lui tendre un piège afin de le descripteur, et le député avait finis par démissionner pour une faute dont il n'était nullement responsable.

« Si ce n’est pas votre cas, comme vous le-sous entendez, j’en suis forte aise. »

J’étais prête à lui donner sa chance. Parce que le Times n’était pas le Mirror, et parce que si je refusais, j’avais parfaitement conscience que les retombées pourraient être tout aussi désastreuses. Si cela se savait, les lecteurs iraient sous doutes se questionner sur les raisons de mon refus et me soupçonneraient de je ne sais trop quoi. Néanmoins, s’il s’avérait que Poppy Ward n’était pas aussi sincère que je le pensais, j’allais devoir me renseigner sur elle, afin qu’elle récolte les conséquences de ses actes.

« Bien. Si nous sommes d’accord, j’accepte de vous laisser rédiger cet article sans censure de ma part. J’espère ne pas faire d’erreur en vous accordant ma confiance mademoiselle Ward. »

Chim, chimney
Chim, chimney
Chim, chim, cher-ee

Poppy n’émit aucun commentaire et hocha même la tête avec compréhension lorsque la marquise mentionna des journalistes politiques bien loin d’être impartiaux. C’était la stricte vérité, la jeune femme ne pouvait trouver aucun argument contre ces faits. Certains de ses pairs parvenaient à monter les échelons alors qu’il était clair qu’ils mettaient en avant leurs propres opinions politiques, souvent aux dépens de la qualité et de la fiabilité de leurs articles. Ils rendaient le travail de la brune bien plus difficile et ils étaient la raison pour laquelle elle devait constamment refaire ses preuves. Comme la britannique était en train de le faire en cet instant. La trentenaire permit à son sourire de s’élargir quelque peu lorsque la femme politique émit la possibilité qu’elle ne soit pas l’un de ces journalistes. Elle était réaliste : si elle était prête à en faire l’hypothèse, il n’en faudrait pas beaucoup plus pour qu’elle le croie. Le fait que ce soit la stricte vérité n’était qu’une corde supplémentaire à son arc.

La brune hocha de nouveau positivement la tête lorsque la PDG lui donna finalement son accord. Bien. Elle avait quasiment fait le plus difficile. La liverpuldienne répondit rapidement, manifestant un léger enthousiasme, toujours avec parcimonie. « Je vous remercie pour votre confiance, Mme la député. Vous ne serez pas déçue. » Elle enchaîna rapidement, ne laissant pas à Mary le temps de retirer son assentiment. « Comment souhaitez-vous procéder ? Je peux vous suivre au cours de l’immersion et à la fin celle-ci, nous reverrons mes observations et y distillerons vos réponses à quelques questions sur votre agenda politique. Sinon, je peux simplement vous interroger au cours de votre journée, et en parallèle de votre travail pour l’entreprise de ramonage. Je crains que la première solution manque quelque peu d’authenticité, mais votre opinion m’importe grandement. » Poppy était douée pour jauger les gens. Elle avait bien compris que la marquise appréciait le contrôle et c’est pourquoi elle l’impliquait dans le choix du format de l’article. L’enjeu était loin d’être majeur, mais l’intégrer de la sorte dans le processus de rédaction rendrait peut-être la femme politique un peu plus facile.