Sous l'enchantement cristallin des verres s'entrechoquant, des fumées âpres formaient des banderoles brumeuses, s'envolant, glissant le long de ses lustres aux palmes tournoyantes. Un concert de rires rauques et un mélange grisant d'effluves éthyliques, de claques amicales se frottant contre des cuirs maculés d'ombres funèbres. Des paires de cuisses s'enjambant lascivement, des bras s'enroulant contre des nuques. Lovés dans les canapés de cuir, les motards aux vestes empestant l'huile des moteurs, riaient, piaillant fort de leurs accents rauques, chauds, marqués par les empreintes du tabac. Mais dans les entrailles de cette antre de beuverie, sous les ombres rectangulaires d'un store vénitien se tenait un homme au visage fermé. L'un de ses doigts se perdait sur l'une des lamelles boisées, là, juste assez pour que les mers sauvages de ses orbes se perdent sur le bar noir de monde. Des bimbos tatouées aux plastiques refaites déambulant entre des grands gaillards moulés de noir, jusqu'aux noctambules franchissant les pas du bar en quête d'adrénaline. Demeurait en fond, cette mélodie endiablée de riffs violents, saccadés. À sa façon, presque barbare, tant les enceintes tremblaient, transpirantes d'une haine acharnée, sombre. Mais à ce tout, comme une fausse note. Une harmonie étrange. Décalée. Un rythme gâché. Sa langue claqua contre son palais d'agacement en se souvenant que le guitariste du groupe était en retard. Black Shadows. Des gosses doués, têtes brûlées et étoiles montante du rock. Leur réputation creusait son nid dans les artères noires d'une Londres polluées de lumières artificielles et d'un trafic bouché. D'un soupir bas, silencieux, il relâcha le store, pour s'enfermer dans les ombres d'une pièce muette, insonorisée. D'ici. Les bruits du bar parvenait à peine à franchir ces grands murs de briques. Et sur la table boisée, sculptée où se coulait une faucheuse aux grands yeux béants dont les doigts cadavériques emprisonnait une faux moissonneuse, un cendrier était là. Encore fumant de cendres mortes, à l'agonie. Et lui, que d'observer d'une mine taciturne, les volutes grimper, jusqu'à former des visages spectraux, aux traits déchirés par l'horreur. Un bruit. Comme un coup de fouet l'extirpant aux démons de sa torpeur ses prunelles chargées d'écumes balayées par le vent se redressèrent jusqu'à un visage familier. Une crinière de blé fouettée par des doigts couverts d'encres et de bagues lourdes et de grandes prunelles noyées de lagons. « Qu'est-ce que tu fou là ? » Un battement de cils et ses traits figés dans l'indifférence se détournèrent de son vice-chef afin de s'emmurer dans ses propres réflexions. « C'est pas ton genre de t'enfermer seul, dans le noir. » Un rire bas, rauque, étreint les lippes d'Arawn. Wolf avait pour don de taper à des endroits plus que juste. « Le guitariste n'est toujours pas arrivé ? » À son tour, ce fut les lippes du blond qui s'illuminèrent d'un large sourire taquin. « Oh, c'est ça qui te fait rester ici ? » « Le Club ne paie pas ses gosses pour qu'ils se fassent attendre. » S'approchant à nouveau de la table, il farfouilla l'une de ces poches, glissant l'une de ces cibiches jusqu'à ce que les étincelles de celle-ci éclate comme des novas stellaires, recouvrant son visage de lueurs éphémères. À peine tangible pour dévorer ses traits durs, marqués par les années, de cette carnation pâle, comme ces grands tombeaux blancs avalés par des avalanches de flocons. Au même moment ou la porte s'ouvre et des ombres se déterre un visage dont le crâne rasé est longé de motifs serpentins. « Chef, il viens d'arriver. » D'un soupir âcre, ses pas lourd se font mesurés tandis qu'il rattrape la distance de la sortie, Wolf sur ses talons. « Putain, c'est pas trop tôt. Pas que ça a foutre d'attendre des divas alcoolisées. »
Quiconque te connaît, affirmera que tu es l’être le moins ponctuel sur Terre. La nature ne t’a pas doté de ce pouvoir. Ce n’est pas faute d’essayer pourtant, mais cela revient toujours au même. Quant bien même tous les efforts que tu réunis pour changer les choses, cela fait longtemps que tu as arrêté de croire que tu pouvais changer cette mauvaise habitude. Eternel refrain, habitude qui te colle à la peau. Etre là alors qu’on t’attend…c’est une façon comme une autre de se faire désirer. Qu’importe ce qu’on puisse penser de toi. Tout le monde s’est finalement habitué. Seuls les inconnus ont encore du mal à concevoir l’idée. Cela semble pour eux, un irrespect profond. Cela t’es égal, leurs jugements, les cris de tes amis n’ont aucune foutue impact sur toi. Si ce n’est, le sourire agacé de ta petite amie quand tu viens à apparaître sous ses yeux d’un bleu défiant toute la pureté du ciel. En passant la porte du bar dans lequel vous, vous donnez ce soir-là, la première chose que tu fais c’est de la prendre dans tes bras pour l’embrasser. La voix de Jesse provenant à tes oreilles avant de t’arracher à ce plaisir pour te donner une leçon. « T’as pensé à l’image que tu donnes de nous ! Même pas fichu de venir à la répète...tu fais chier. » Tu roules des yeux et soupires : « Relaxe, je suis là ok ? » Tu as relâché les hanches de ta douce pour prendre ta guitare en bandoulière. L’épaisse sangle sur ton épaule, tes doigts viennent caresser les cordes électriques. Tu les fais vibrer à ta façon, rêvant de son corps bouillant contre le tien une fois la soirée terminée. La musique retentit, la voix de Lya se pose avec cette poésie qui lui est propre, qui te rend dingue au point d’en frissonner et de te languir. Bientôt, la chaleur devient presque étouffante dans le bar, mais il vous en faut plus pour vous épuiser. L’on chante ces paroles qui deviennent comme de l’eau de source, faciles d’apprentissage, comme si cela faisait longtemps que le public vous avez découvert. L’entracte vient et c’est un plaisir fou de sentir la bise caresser ta joue. Brise nocturne, alors que la fumée s’échappe de tes lèvres, en volute au-dessus de ta tête. « Je reviens tout de suite » Ta main se déloge, pourtant si bien dans le creux de sa poche arrière. « A tout de suite princesse ! » Que tu lâches, alors que Lya s’éclipse de nouveau à l’intérieur pour probablement aller pisser. Ton dos fini contre le mur de pierre, tandis que ton regard se perd sur le grand rideau de fer qui referme l’entrepôt géant d’en face. Grosses lettres industrielles, taillées dans un fer épais comme devanture. La solitude a du bon, tu prends le temps de respirer un coup. La deuxième partie du concert commencera bientôt.
Sous les lumières, il luis, ce cuir. Cette grande faucheuse rampante, naviguant dans une mer d'ombres et de lumières, paraissant s'animer de sa propre volonté. Mais lorsque les spots se braquent enfin sur l'estrade, c'est dans une cavalcade déchaînée que le bar s'enflamme. Et la nuit, couvrant ses traits, alors que dans ses pupilles, s'animent ses novas amorphes. Éclat de dégénérescence stellaire, les flammes dévorant les océans de la sorgue. Et cette harmonie. Qui viens. Doucement mais sûrement. Explose sous sa cage thoracique comme une nuée de réminiscences. Une vague. L'écume salée de la mer. De ses pieds maigrelets couvert du sel de ces grèves immaculées où les anges chutent et tombe dans la déchéance. La marque brûlante du soleil contre sa nuque, le cri des coyotes alors que le ciel se pare de son manteau enténébré. La haine, la rancœur violente, sourde, de ce palpitant explosant à la face de ce monde en ruine. Et les couleurs, qui défilent, mais de cette vision amère, coincée au travers d'un filtre d'ombres et de lumières. Et pourtant, les reliefs, leurs goûts, leurs odeurs, semblaient avoir disparus. Exilés d'eux-mêmes, sans aucune traces. La main de Wolf sur son épaule, son coup de fouet, son retour à la réalité. À ce gouffre qui se creuse sous ses pieds, l'emporte dans leurs abysses nébuleuses. « Alors, qu'est-ce que je t'avais dit ? » Depuis le début du concert, la cigarette coincée entre les reliefs gercés de ses lippes s'est consumée dans ses propres cendres, perdue là, sous les piétinements fous de cette meute galvanisée. Et soudain, l'harmonie n'est plus aussi bancale et c'est baigné au fin fond des abysses tortueuses d'océans secs, que Skull s'est perdu. Le carcan retrouvé et ses détours dédaléens amoncelés comme une prophétie noire. « Ça va, t'avais raison. » La note s'est enchantée d'elle-même. Plus vraie que fausse. Et dans ce tempo de rage barbare, c'est une mélancolie triste, affligeante, qui s'est nouée au travers de ses entrailles. L'enchantement. La malédiction levée. Du bout de ses doigts tatoués faisant naître des frissons sur sa peau nue, engoncée dans son cuir. Et lorsque la lumière revint, c'est un concert de sifflements et d'applaudissements qui gagne la foule. Et Arawn que d'être là, à fixer cette étrange crinière de blé familière, ces pupilles baignées de ressacs tumultueux. « Ce gosse te ressemble comme deux gouttes d'eaux. » Une bière entre ses mains, Wolf éclate de son rire rauque. « Dit pas de conneries. » Et Khamsa de venir à l'assaut de son petit-ami, l'attraper dans le bain noir de foule, de corps pressés, délurés, de ses bras coincés contre sa nuque et les voilà qu'ils disparaissent, rejoindre les ombres étouffantes d'une nuit électrique. L'entracte à commencer et c'est par quelques shots de vodka que sa gorge se réchauffe d'effluves éthyliques, âpres. Ça parle fort, ça se bouscule et après une longue discussion avec le leader du groupe, c'est dans le froid crépusculaire, loin de l'agitation, qu'il part se réfugier. L'odeur forte et grésillante du cigarillo coincé entre ses lippes lui fait relever ses prunelles au moment ou un bruit de pas martèle l'asphalte. Les océans s'affrontent, comme deux loups se croisant à la lisière de leurs territoires et c'est l'instant fatidique. Celui qui décidera de l'entente. Cordiale ou non. Et Arawn, que de sortir son paquet de cigarillos de sa poche d'un grognement muet. « T'en veux une ? »
Une nuit de plus pour aimer ce qu’est la vie. Tout ce qui se passe à ce moment précis, est une raison pour vibrer sans retenue. La proximité du public, la connexion avec les autres membres du groupe, cette totale symbiose, ces sourires échangés au travers les jeux de lumières. Scène tremblante sous vos pas, éclats de voix qui parsèment ta peau de frissons incontrôlables. Combien tu aimes la regarder dans ces moments-là ! Ô Lya, tu vas l’aimer si fort une fois rentrer à la maison. Corps désireux. En attendant, ce sont les cordes de ta guitare qui sentent toute la passion qui anime ton être. Les palpitations n’en peuvent plus, les yeux baignés par cette ferveur et cette envie d’être tout sauf seul. Sentiment totalement addictif que d’être le fruit de toute attention. On te connait pourtant pour aimer aussi la solitude et les silences. C’est un grand luxe que d’avoir pour seule compagnie, la lune au-dessus de ta tête. Les lanternes célestes comme soeurs, cachées avec timidité par le lumière parasite des trois réverbères qui longent le trottoir accolé au bar. Lya est loin à présent, le silence comme remplacement. Son parfum n’est plus l’effluve alentour. Ce sont des pas qui résonnent, attirant sitôt ton attention. Tes yeux dérivent du ciel d’encre pour se poser sur l’imposante carrure du propriétaire des lieux. Pensée malpolie, tu en as oublié son prénom. Jesse te l’a pourtant trop répété ! « T'en veux une ? » Tu t’es redressé, comme le second loup prenant sa place auprès de son compère. « Merci. » Tu parles que trop brièvement, ton regard dans le sien pour tenter, honorer sa présence. Son prénom trop enfoui dans ta mémoire, tu inspires doucement, alors que s’enflamme cette nouvelle source de nicotine. Lya te dit pourtant que tu fumes trop, qu’elle aimerait que tu cesses. Mais elle aime que trop ce souffle rauque qui s’écrase contre ses lèvres, dans sa nuque et tantôt sur ses seins quand vient le moment de vos nuits folles. Quand vos corps viennent à s’entrelacer. Un pied contre le mur, tu poses une nouvelle fois tes yeux sur le grand barbu à tes côtés. « Très sympa le bar ! Et désolé pour l’attente, j’suis pas branché sur la même horloge. » Une manière originale d’affirmer que tu étais en retard et qu’il faudra s’y habituer. Tes yeux observent toujours devant toi. Les belles lignes de ces bolides éveillant ta curiosité. « C’est laquelle la tienne ? » Sans complexe, t’es là à tutoyer. Mais lui-même avait déjà commencé.
Toujours cette même sensation étrange, alors que ses orbes se posent dans celle du plus jeune. Là où danse des écumes venimeuses, ardentes et indisciplinées. Cette impression de revoir Wolf, quelques années plus tôt, alors qu'ils étaient encore graciés par leurs jouvences fougueuses. Ce même gamin paumé aux grandes prunelles ravagées par des océans de colère, ces mêmes bleus sur ses phalanges couverte d'encre et d'hématomes. Et ce regard, toujours le même. Celui d'une tête brûlée exaltée, à la timidité camouflée. Tout comme ce sourire, qui s'efface bien vite sur ses lippes à l'entente de l'horloge. Et c'est la nuit béante, comme un trou noir avaleur de chimères spectrales, vers laquelle il se tourne pour tirer un nuage âpre. Puis de sa voix rauque, presque intimidante, comme un grondement des entrailles de ses poumons viciés par quelques fumées nocives. « Il vas falloir commencer à régler ton horloge correctement. » Qu'il lui dit, d'un rire sarcastique, sa grosse patte d'ursidé s'égarant dans son dos d'une claque amicale. Toujours comme ça, Arawn. À occulter ses émotions pour jouer la carte de son imposante présence. Avec ses grandes épaules qui se moule dans son cuir, ses larges mains couvertes de bagues d'acier, dont les yeux obscures de ces visages squelettiques se fondent dans la sorgue, jusqu'à en récupérer leurs éclats opaques, fades. Qui parle peu, toujours, surtout de ce feu, qui depuis toujours sommeille dans ses entrailles. Et se fane, s'émiette, peu à peu, alors que la quarantaine approche, que ses tempes se macule doucement de fils d'argents, que ses yeux sa vision lui joue des mauvais tours. Comme une flamme se meurt doucement à l'approche des eaux, des tsunamis ravageant sa psyché d'écumes dédaléennes. Il n'en reste pas moins cet homme de poigne au regard écrasant. Parce qu'en grandissant dans un tel milieu, ce n'est pas seulement un nom qu'il s'est forgé, mais une âme. Courroucée, pleine de hargne et de répondant. Finalement il le relâche d'une dernière secousse conviviale et se tourne vers cette rangée de bécane amoncelée comme une fierté incandescente. « Je sais pas, devine. » Qu'il continue, joueur et tenace. « Laquelle m'irait le mieux ? » À vue d’œil, il reconnait celle de Wolf, dont le guidon trop haut l'oblige à relever ses mains presque au dessus de sa tête. Puis de sa mémoire surgis un nom dont l'écho avait plus tôt, fait son petit chemin jusque dans les méandres de sa pensée. Jesse, le leader des Black Shadows lui en avait fait part. « Jon, c'est bien ça ? » L'odeur forte de son cigarillo lui brûle presque les narines et c'est de l'index qui le fait finalement s'échouer sur l'asphalte encore humide. « Suis moi. » Les mains logées dans les poches de son cuir, où trône fièrement son nom, au côté du patch de Chef, Skull, cette faucheuse se fond sur son dos, s'accaparant presque les reliefs musculeux roulant lestement contre sa peau. Et ce fut une fois au devant des portes de fer d'un garage fermé qu'il sort une clef de sa poche afin de l'ouvrir. Peu à peu, le store se relève dans des grincements et des couinements aiguë et lorsqu'enfin les ombres nocturnes se dissipent au profit de grands spots blanchâtres, c'est une allée de moto couverte de draps qui se dressent, camouflée dans leurs couvertures protectrices. Mais au milieu, ce bijoux de mécanique, bien plus grande que ses consœurs motorisées. De sa grande patte tatouée il en attrape le drap et la défait peu à peu de sa barrière de tissus. Une dodge charger, muscle car qu'il a hérité de son père depuis les bas fonds d'une L.A cupide et stupide. « Celle là je l'ai hérité de mon père. Les autres recouvertes sont des harley, tu peux enlever leurs draps si tu veux. »
Son regard est tenace. Il a ce genre de yeux auxquels ont ne peut pas rester indifférent. Il a ce genre de regard qui peut mettre mal à l’aise en une fraction de seconde. On aurait envie de lui crier dessus pour qu’il arrête de nous fixer ainsi avec son bleuâtre argenté. Cependant, tu es loin d’être intimidé, quant bien même l’air un peu plus sévère que son visage prend soudain en parlant de ponctualité. « Il va falloir commencer à régler ton horloge correctement » Un rictus étire tes lèvres, tandis que le sien résonne un peu plus fort et que sa poigne s’abat sur tes épaules. Un geste que tout ami de longue date peut se permettre ou qu’un bonhomme dans son genre peut affliger à un de ses semblables. Dans la semi-pénombre, vous êtes comme deux ours à l’orée des bois. C’est bien pour cette raison, de par votre petite ressemblance et du feeling qui découle de votre rencontre, que tu l’autorises à agir ainsi. Aurais-tu pu t’y opposer de toute façon ? Sans doute pas. « Je te promets pas de faire des efforts, je sais que c’est foutu d’avance. » Tu clos le sujet par cette remarque. Tu comptes pas lui laisser le dernier mot, car tu te connais trop bien pour savoir que c’est peine perdue, que rien n’y changera. On t’attendra toujours. Sa compagnie t’en fais presque oublié l’absence de Lya, qui a surtout prit le temps de s’arrêter au comptoir du bar pour y commander une nouvelle boisson. Rejoindre le reste du groupe. Si tu tournais la tête à cet instant, tu verrais alors sa grande chevelure blonde onduler tandis qu’elle patiente d’être servie - en dandinant des hanches. Ton regard posé sur les bécanes, sa voix rauque attise toujours plus ta curiosité. Ce à quoi elles peuvent ressembler. Tu hausses les épaules, glissant une main dans la poche de ton jeans. En vérité, toute lui irait probablement à merveille. Comme elles pourraient toutes si bien s’accorder à ton propre physique. « Oaui. Et toi, Arawn ? » Comme une révélation. Tu te souviens de son prénom comme par enchantement. A point nommé. « Suis moi » Tu ne te fais pas prier en somme. Devant toi, tu peux ainsi détailler l’arrière de son cuir, l’effigie - avant que le silence de la nuit se brise par l’ascension du portail géant. La fumée de cigarette s’échappe de tes lèvres, alors que tu écrases le mégot sur le bitume encore chaud du jour. Sous tes yeux, se dévoilent un garage, une antre dont se dégage une atmosphère toute particulière. Tu scrutes les coins d’ombre, avant qu’un spot éclaire entièrement l’intérieur pour dresser sous tes yeux, une allée de motos camouflées. C’est d’une telle frustration, que tu sembles retrouver ton souffle quand la première se dévoile toute entière. « Celle là, je l’ai hérité de mon père… » Tu détailles le bolide. Une bête, canon en tout point. Tu t’es approché, pour mieux admirer et sous tes doigts, tu serres le dernier drapé qui empêche toute vision sur le reste de la bande. T'es comme un môme le matin de Noël, quelques secondes avant de déchirer les papiers cadeaux. Tu restes béat, avant de reposer tes yeux sur Arawn. « Des pépites ! » Tu penses à ta propre Harley qui prend la poussière dans ton garage. Celle que tu as acheté le jour de ta majorité. « J’aimerai faire de la mécanique juste pour bichonner ce genre d’engins !… », tu lâches dans un souffle, alors que tu t’es accroupi pour mieux détailler le chrome. « il y aurait moyen que j’amène la mienne un d’ces jours ? »
Toutes en courbes musculeuses, de ses vallons ombrageux où dansent les visages de loups noctambules, jusqu'à ses énormes roues piétinant le béton froid du garage et de ses jantes lustrées, brillantes. En y apercevant son propre reflet, c'est des éons en arrière qu'il se retrouve projeté. Là. Aux abords de la route, alors que cette fenêtre s'ouvre sur un visage familier, dont les fossettes apparaissent aux commissures de ses lèvres de la naissance de son sourire. Alors, tu grimpe gamin ? Et puis il avait fini par grimper. Peinant à ouvrir la porte de ses minuscules doigts, le corps si rachitique que lorsqu'il vint à s'enfoncer dans le cuir des sièges, il parvenait à peine à voir la route défiler par delà les fenêtres. Et le moteur, grondant, ronronnant comme la berceuse d'un gros félin veillant sur son sommeil lourd. Grimper. S'en aller. S'évader. S'exiler. Le temps n'avait pas pansé ses plaies, il n'avait fait que les ouvrir davantage. Comme une vieille réminiscence brûle et démange au contact de sa nostalgie lancinante. Et Jon que d'être là, avec ces grands yeux bleus gorgées d'eaux fougueuses, déchaînée, avec la passion dévorante d'une jeunesse s'étiolant, peu à peu, dans ses propres eaux endormies. Et lui, que d'être à la place, de celui qui il y a bien longtemps, fut connu sous le nom de Skull King. Et cette vieille carcasse qu'il frôle du bout de ses doigts couverts d'encres, comme une ultime preuve de son existence. À lui, qui l'avait fait basculer. Ni du bon, ni du pire côté. Seulement du sien. De son existence outrageuse faite de cuirs, de motos bruyantes, de rouille et d'essence. De coup et d'aisance. « Seulement si cette fois-ci, tu arrive à l'heure. » Leurs regards qui se croisent et la lueur taquine qui y brille, vivace et indéniable. Et Jon. Jon aux yeux émerveillés. À la crinière de blé dont les boucles rebelles s'accrochent et se dénouent comme des plumes oisives, légères, aériennes. Là. Juste derrière ces oreilles. Au creux de cette nuque où la masse s'arrête pour laisser place à des dunes de peau tatouée. Baveuse d'encre et de contes noirs. Jon dont les grands sourires semblent illuminer la nuit de feus rougeoyantes et ces pourtant, au son de ces cordes grattées que la mélancolie noie ses océans de feus. Que la vérité surgie comme une évidence écorchée. « Je ne suis pas du genre à faire des heures supp', sauf si on me paie en convenance. » Et sa grosse patte qui s'échoue dans le trésor de ses poches, afin d'en sortir, cette fois-ci une cibiche illuminant ses traits que les années s'efforçait de durcir. Renforcer. Marquer au burin. Comme de ces âmes vagabondes en quête d'un but. Et ses pas qui s'approche, au rythme de cette chaînette de ceinture, qui tinte, comme un carillon à l'approche du vent. « Tu sais. Je dois t'avouer un truc. Tu m'as impressionné, là bas. » Son visage se tourne en direction du bar illuminé dans la sorgue, où l'on festoie et les rares passants qui s'amasse sur la terrasse pour fumer quelques cigarettes tout en tenant les cheveux de leurs compagnons éméchés dégurgitant leurs biles. « T'as un don. Sache-le. Et surtout, conserve le. » N'était-il pas là, lui aussi, à chercher d'impressionner un pauvre gamin dont les immensités bleutées broyait l'azur des siennes ? Son ego en avait certainement pris un coup. À lui, qui depuis des années s'efforçait de poser quelques mélodies sur une guitare poussiéreuse, abandonnée. Une note amère. Aigre. De la jalousie ? Non, c'était autre chose. « Y'a peut-être quelque chose que tu pourrais faire pour moi... » Mais sa phrase se coupe au moment où une voix cristalline s'égare jusqu'à leurs oreilles. Et bientôt, la vision d'une blonde plantureuse aux mains posées sur les hanches. Au dessus de son épaule, sa main se suspend dans les airs et retombe, molle, brinquebalante dans le vide.
Arawn a ce sourire muet. On pourrait penser que son regard est dans le vague, mais tu sais toi-même que c’est tout sauf le cas. Sans même le connaître véritablement, et c’est d’ailleurs assez étrange. C’est comme si on pouvait lire en lui comme dans un livre ouvert, sans que lui-même puisse éviter cela. Il a cet air sur le visage qui démontre combien il pense fort à un souvenir. Lointain, récent. Triste, joyeux. De toute évidence, Arawn possède cet air mélancolique - et ça te gêne d’ouvrir la bouche pour briser cet instant d’intimité. Tu te contentes de le regarder, tout en gardant une distance avec lui, mais une proximité avec les jolies bécanes qui vous accompagnent. Reposant ton attention sur ces dernières, laissant au silence toute la liberté de durer, Arawn fini par rouvrir la bouche. Sa voix grave te saisit sans crier gare. « Seulement si cette fois-ci, tu arrives à l’heure. » Un rire t’échappe et tu secoues doucement la tête, te rapprochant d’un pas. « J’essaierai alors. » Cet homme là, qui est une simple connaissance à l’heure actuelle, aurait-il le pouvoir de changer les mauvaises habitudes du rockeur ? C’est rêver très fort, mais tu lui laisses un peu espoir, croire que ça pourrait s’arranger. Ton attention revient sitôt sur les dames à deux roues, ne remarquant alors pas, cette façon qu’il a de te regarder. Ce ne sont pas les courbes de ses maîtresses qui l’intéresse, mais c’est plutôt ton aspect visuel. Ta prestance, ta façon de te tenir là, de sourire comme un gosse heureux. Découvrir ces trésors te semble comme un privilège en somme. De par ce geste, tu te sens pas comme un simple inconnu qui passe par-là. Il y a un échange, et de cette interaction, découle un futur commun dont tu ne te doutes pas encore. Arawn parle d’argent, mais tu lui coupes presque la parole : « Je prévoyais de te payer, tu m’as pris pour une pseudo star à la grosse tête, sérieusement ? » L’humour au bord des lèvres, tu finis par exploser de rire, venant même taper sur son épaule comme deux frères le feraient. « En vrai, si c’est possible j’en sais rien, j’aimerai bien la retaper avec toi. Tu serais d’accord ? » Tu hausses les épaules, osant ainsi espérer que ce rêve de gosse devienne enfin réalité. Elle a trop longtemps errer dans le garage, trop prit la poussière. Temps gâché, temps perdu que tu voudrais rattraper. Tu rêves de road trip, sans réelle destination. Seul l’horizon avec toi, d’une infinie beauté et de riches promesses. Vient les confessions, et tu arques un sourcil quand Arawn avoue avoir aimer ce qu’il a vu en première partie. Tu n’as jamais réellement été à l’aise avec les compliments. Le fait d’entendre une éloge à ton propos te met toujours mal à l’aise et tu sais plus quoi faire de tes bras. Tu viens alors glisser tes doigts dans tes cheveux. Le remerciement n’arrivant pas à passer le bord des lèvres, tu te contentes d’un regard appuyé en espérant que Arawn ne trouve pas ce silence arrogant. Mais la suite te fais malgré tout bafouiller quelques mots. Phrases maladroites en somme : « Merc…ci. » Tu te grattes l’arrière de la tête et inspires doucement. Tu allais lui demander s’il jouait lui-même d’un instrument - de la guitare peut être - mais la voix mélodieuse de ta douce résonne dans la nuit. Ses talons martelant le sol, jusqu’à ce qu’ils se bousculent pour venir la hisser jusqu’à tes lèvres. Ses bras autour de ton cou pour mieux t’avoir contre son corps. Son baiser claque et tu le romps rapidement pour faire les présentations. Ton bras entourant ses hanches pour la garder là, à tes côtés. « Lya, je te présente Arawn…s » Tu réalises alors qu’ils ont du probablement parler avant ton arrivée. Puisque toi seul était le retardataire. « Chéri, je sais. On s’est parlés plus tôt, quand tu te faisais languir. » Tu lèves les yeux au ciel, faisant mine de n’avoir rien dit. Elle aime si tant te ridiculiser. « On reprend dans dix minutes, on t’attend ! » De ses doigts fins, elle kidnappe une dernière fois ta mâchoire. Son je t’aime chuchoté pour que toi seul l’entends, Lya a déjà disparu derrière la porte du bar.
« Non, seulement pour une diva capricieuse. » Qu'il réplique, du tac au tac. En une spontanéité alarmante. Ce jeu de boutades et de facéties, comme pour entretenir la flamme vivace de leurs regards s'entrechoquant, puis se détournant. Non pas par maladresse ou par timidité, mais plutôt par respect, afin de se laisser, seul, face à face avec ses propres mers azuréennes, tambourinant dans les dédales de leur psyché. C'était bizarre, étrange, que d'inverser les rôles. Et se rendre compte, que les années avaient fini par le faire basculer de l'autre côté. Lui, avec le fardeau de cette faucheuse trônant sur son dos, ce charisme nocturne lui écorchant la peau d'encre, mais toujours avec ce même regard. Celui d'un adolescent où dansent des lagons sombres, gorgés d'une nostalgie maladive, pâle, blême. Le même que Liam abordait, parfois, sans qu'il ne puisse arracher des mots à cette lueur éphémère, préférant se taire plutôt que de provoquer ses propres démons intérieurs. Des chimères, ils en avaient. Assez pour que la réalité les rattrapent de plein fouet, comme pour les couper de cette bulle figée hors du temps, de la nuit, des lointains bruits de choppes s'entrechoquant et des rires noctambules fracassant le silence serein de la sorgue. Et puis cette blonde, une fée perchée sur ses échasses, adroite, avec cette voix cristalline résonnant doucement dans le ventre enténébré du crépuscule. Avec cet halo de lumière cascadant sur ses épaules en une coulée de blés souples, balayés par le vent. Eux, ils avaient la sincérité naturelle d'une passion déchaînée leurs collant à la peau et de ce baiser, Arawn en détourna les yeux, préférant leur laisser l'intimité de l'instant, faisant mine de se concentrer sur l'une de ses bécanes dont il nettoya une poussière du bout du pouce. Et dans sa gorge, cette sensation amère, âpre, que de se laisser emmurer dans son propre silence, sans rien dire, à laisser ce doux sourire factice orner ses lippes sans un mot. Cette légère gêne persistante alors que le bruit de leurs langues enroulées amoureusement claquaient dans l'air comme une gifle mentale. L'air de se dire : Ce n'est pas tout à fait ta place, ici. Mauvais moment, mauvais endroit. Et lui que de silencieusement claquer sa langue contre son palais en attendant le dénouement de leurs caresses passionnée. Et cet écho persistant, de leurs chevelures, qui plus tard, viendraient à s'enrouler dans les entrailles d'un lit encore chaud de leurs ébats moites. C'était des bons vivants, des croqueurs de vie. Et lui, seulement un spectre écorché, un cavalier fantôme. Et puis la voix de la dite Lya, à la mélancolie fracassante que de le faire revenir pieds à la réalité, en lui offrant un sourire à mis chemin entre la gêne et une sorte... d'agacement ténu. « En effet, jolie voix par ailleurs. » Et puis lorsque le bruit de ses talons s'évadent dans la nuit, cette gêne de persister, quelques petites secondes, en s'imaginant tout à fait la suite de cette soirée endiablée. Et ses pas que de gagner la distance qui le séparait de Jon avant de lui assommer le dos d'une claque amicale de la paume d'une de ses mains d'ursidé. « Tes attendu, je pense que tu devrais partir les rejoindre. » Finalement, il le dépasse de quelques pas, sans un mot, comme si la bulle dans laquelle ils avaient été figés plus tôt s'était faite interrompre. Et la magie des bécanes, disparues, au profit d'une paire de longues jambes satinées. Puis sa main, qui se fige au dessus de l'interrupteur des lumières, son profil lupin qui se tourne vers Jon une dernière fois. « Et pour ce qui est de ta moto, amène là moi et je verrais bien ce qu'on peu en tirer. » Pride serait certainement ravis de ne pas avoir à tremper ses mains dans le cambouis cette fois-ci.
Il ne peut pas s’en passer une seconde ! Arawn a toujours les bons mots, la remarque qu’il faut. Tu peux que fermer ta gueule et acquiescer d’un simple sourire, accepter qu’il a été plus fort que toi. Tu pourrais, par a + b lui prouver que t’es loin d’être une diva, mais t’as aucune foutue envie de partir dans un débat, qui l’amuserait plus qu’autre chose. Ses répliques, cette répartie doit être le travail de longues années mêlées à un talent inné. C’est ce qui le rend magnétique, en plus de cette façon de se tenir, de porter la voix et d’en briser tout le silence d’une nuit paisible. Les échos lointains provenant du bar ne sont plus qu’infimes sons, la principale étant la sienne. Tu le scrutes dans le plus profond des yeux, ayant la curiosité de décrypter les éclats qui y brillent, comme l’origine de ses cernes. C’est Lya qui brise cette belle alchimie que tu avais instauré avec cet homme. S’il y eu d’abord le bruit de ses talons sur le bitume, ce n’était rien à côté de ses lèvres pulpeuses contre les tiennes et de sa voix à ton oreille. La malice dans son regard, avant de te quitter pour mieux te retrouver bientôt. Arawn n’a pas manqué de la complimenter aussi. Tu es le premier à aimer sa voix cristalline. Elle apaise toutes les tensions, tous les maux et les tourments de quiconque à la ronde. Tu ne pourrais pas t’en lasser, de l’entendre. Sa voix comme berceuse. Perdu dans tes pensées, tant tu la regardes si intensément, que ton coeur bat fort d’émoi. Tu sursautes quand Arawn t’accorde une tape dans le dos. Tu tournes sitôt ton visage vers le sien. « Oui, tu as raison. » Le rideau de fer se referme sur votre terrain d’entente. Ayant avancé pour le laisser faire, tes pas te conduisent rapidement vers le trottoir d’en face, où la devanture illuminée finie de t’éblouir avant que les stores intérieurs prennent le relais. Tu remontes sur scène, ta guitare dans les mains à défaut d’avoir sa peau chaude contre tes paumes. Un regard dans sa direction, prometteur comme jamais, tu fais vibrer la corde, et vous revoilà tous ensemble, dans une symbiose parfaite. Qu’est-ce qui pourrait vous arriver de pire ? Vous êtes sûrement les plus heureux du monde à cet instant précis. La vie qui vous sourit, les offres qui fleurissent, l’avenir devant vous, en somme.